La Jurisprudence du Conseil d’État Précise la Portée de l’Abandon de Poste pour les Agents Contractuels
Dans un jugement qui fait date, le Conseil d’État a apporté une clarification attendue sur la gestion des ressources humaines dans la fonction publique territoriale, précisant les contours de l’abandon de poste pour les agents contractuels. Par son arrêt du 3 novembre 2023 (n°461537), il a apporté des réponses essentielles qui affecteront la manière dont les administrations publiques interagissent avec leurs employés contractuels, en particulier lors de modifications contractuelles significatives.
I. Contexte de l’affaire
Un agent contractuel s’est vu unilatéralement imposer un changement d’affectation par sa commune. Face à son refus, la municipalité a initié une procédure de radiation pour abandon de poste. Ce geste administratif a déclenché une série d’actions en justice, avec une décision initiale du tribunal administratif de Mayotte qui a annulé la radiation et ordonné la réintégration de l’agent. L’affaire a pris une autre tournure lorsque la Cour administrative d’appel de Bordeaux a infirmé cette annulation, poussant l’agent à former un pourvoi en cassation.
Chronologie Judicaire
- Radiation Initiale : Par un arrêté du 10 avril 2017, le maire a déclaré la radiation des effectifs d’un agent pour cause d’abandon de poste.
- Annulation et Réintégration : Le tribunal administratif de Mayotte, le 17 septembre 2019, a annulé cet arrêté et a sommé la commune de réintégrer l’agent.
- Renversement en Appel : Par la suite, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a infirmé cette décision.
- Pourvoi en Cassation : L’agent a alors engagé un pourvoi en cassation, cherchant à contester la décision de la cour d’appel.
Cadre Juridique et Définitions
- Abandon de Poste : Absence non justifiée d’un employé de son lieu de travail malgré une mise en demeure formelle, interprétée comme une rupture volontaire du lien de travail.
- Agent Contractuel : Employé non titulaire dans la fonction publique, dont les conditions de travail sont déterminées par les clauses contractuelles spécifiques.
- Mise en Demeure : Action juridique qui commande à un employé de satisfaire à une exigence précise dans un délai imparti, sous peine de sanctions.
II. Décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État a souligné, dans sa décision, les exigences procédurales pour établir un abandon de poste: « Une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l’agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié, qu’il appartient à l’administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d’un document écrit, notifié à l’intéressé, l’informant du risque qu’il encourt d’une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable. »
Le jugement ajoute que si l’agent « ne s’est pas présenté et n’a fait connaître à l’administration aucune intention avant l’expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l’absence de toute justification d’ordre matériel ou médical, présentée par l’agent, de nature à expliquer le retard qu’il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d’estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l’intéressé ».
Analyse et implications
Cette formulation rigoureuse du Conseil d’État réitère la nécessité pour les administrations de suivre un processus strict avant de pouvoir légalement considérer qu’un agent contractuel a abandonné son poste. Le refus de modifier un élément substantiel du contrat ne peut être assimilé à un tel abandon. Cette décision souligne la différence fondamentale entre le statut d’agent contractuel, régi par les stipulations de son contrat, et celui de fonctionnaire.
L’administration est donc invitée à engager une procédure de licenciement en bonne et due forme, respectant les articles 39-3 et 39-4 du décret du 15 février 1988, si elle souhaite se séparer d’un agent refusant un changement d’affectation.
Conclusion
Cette décision marque un tournant dans la jurisprudence administrative française. Elle protège les agents contractuels contre des radiations arbitraires et renforce la prévisibilité et la sécurité juridique dans les relations de travail au sein de la fonction publique territoriale. Les administrations doivent désormais être d’autant plus vigilantes dans leur gestion des ressources humaines, ce qui pourrait avoir des répercussions considérables sur la politique du personnel et la gouvernance locale.
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