
Télétravail et accident du travail : quand votre domicile devient un lieu de risques professionnels
En 2024, près de 36 % des salariés français pratiquent régulièrement le télétravail (DARES, Statista). Cette organisation, généralisée depuis la crise sanitaire, s’est durablement installée dans les pratiques professionnelles. Mais elle soulève une question cruciale : télétravail et accident du travail, comment la loi les appréhende-t-elle ?
Que se passe-t-il lorsqu’un salarié se blesse chez lui, pendant ses horaires professionnels ? La frontière entre vie privée et vie professionnelle devient floue, et la jurisprudence récente apporte des réponses essentielles pour les employeurs comme pour les salariés.
Télétravail et accident du travail : que dit la loi ?
Le législateur a anticipé ces situations. L’article L.1222-9 du Code du travail prévoit que :
« L’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail. »
Cette règle s’ajoute au principe général de l’article L.411-1 du Code de la Sécurité sociale, qui définit l’accident du travail comme un événement survenu par le fait ou à l’occasion du travail.
Concrètement, un salarié qui se blesse dans son espace de télétravail et pendant ses horaires professionnels bénéficie de la présomption d’imputabilité. Mais, comme souvent en droit, la pratique révèle des zones grises.
Jurisprudence récente : les limites de la présomption
Les juridictions rappellent régulièrement que cette présomption est stricte et ne s’applique pas dans toutes les situations.
- Pause déjeuner et déconnexion : la Cour d’appel de Rouen (26 avril 2024) a refusé de reconnaître un accident du travail pour une salariée victime d’un malaise après sa pause, faute de preuve qu’elle avait repris une activité professionnelle.
- Sortie du domicile : la Cour d’appel de La Réunion (4 mai 2023) a jugé qu’un salarié, sorti sur la voie publique pour identifier une panne informatique, avait interrompu son travail pour un motif personnel. L’accident n’a donc pas été reconnu.
- Revirement protecteur : À l’inverse, la Cour d’appel d’Amiens (2 septembre 2024) a considéré qu’un accident survenu pendant la pause déjeuner devait être couvert, la pause constituant une interruption légale et brève de l’activité.
- Ces décisions montrent que l’appréciation des juges dépend fortement du contexte et des preuves disponibles.
La preuve technique : un élément déterminant
De plus en plus, les juges s’appuient sur des éléments techniques pour établir le caractère professionnel de l’accident :
- connexions informatiques,
- courriels horodatés,
- relevés d’activité,
- captures d’écran.
Ainsi, la Cour d’appel de Nîmes (2 mai 2024) a retenu le caractère professionnel d’un infarctus grâce à l’envoi d’un dernier mail quelques minutes avant le malaise. Ces preuves sont devenues centrales dans l’appréciation des tribunaux.
Obligations respectives des employeurs et des salariés
Pour le salarié
- Déclarer l’accident à l’employeur dans les 24 heures.
- Obtenir un certificat médical décrivant précisément les lésions.
- Conserver tout élément attestant qu’il était bien en activité au moment de l’accident.
Pour l’employeur
- Déclarer l’accident à la CPAM dans les 48 heures via net-entreprises.fr.
- Assurer la prévention des risques liés au télétravail : matériel ergonomique, droit à la déconnexion, suivi régulier.
- Encadrer le télétravail par une charte ou un accord collectif définissant horaires, espaces autorisés et conditions de sécurité.
Conseils pratiques
Pour les employeurs
- Préciser les horaires et lieux de télétravail dans les accords collectifs.
- Mettre en place des outils de traçabilité adaptés, sans porter atteinte à la vie privée.
- Former les managers à la gestion du télétravail et aux obligations de sécurité.
Pour les salariés
- Délimiter clairement un espace de travail à domicile.
- Respecter les horaires fixés et éviter les chevauchements avec la vie personnelle.
- Documenter ses activités professionnelles (agenda, mails, messagerie interne).
Le développement massif du télétravail transforme le domicile en un véritable espace professionnel. Mais il complexifie aussi la reconnaissance juridique des accidents. La présomption prévue par la loi protège les salariés, tout en laissant place à des zones d’incertitude que les juges tranchent au cas par cas.
La jurisprudence récente montre que la question du télétravail et accident du travail reste sensible, dépendante de la preuve technique et des circonstances précises.
👉 Dans ce contexte, employeurs comme salariés doivent redoubler de vigilance : encadrer le télétravail, respecter les procédures et anticiper les risques est essentiel. Face à ces situations complexes, l’accompagnement d’un avocat spécialisé en droit social constitue la meilleure garantie pour sécuriser vos pratiques et défendre efficacement vos droits.