
Violences intrafamiliales à La Réunion : quand l’intime réclame justice
Saint-Denis, 10 juillet 2025. Dans une salle d’audience silencieuse, trois femmes se succèdent à la barre. Trois histoires, trois visages, un même fil conducteur : la violence au sein du couple. Ces affaires, jugées en une seule matinée, ne sont pas des cas isolés. Elles témoignent d’un phénomène ancré, durable, auquel La Réunion est particulièrement confrontée.
Selon l’Observatoire Réunionnais des Violences faites aux Femmes (ORViFF), l’île affiche un taux de 14,6 cas de violences conjugales pour 1 000 habitants, la plaçant au deuxième rang national. En 2024, 3 359 dossiers impliquant des conjoints ou ex-conjoints ont été enregistrés. Ces affaires représentent à elles seules plus de 80 % des violences intrafamiliales traitées par les juridictions réunionnaises.
Une réalité bien documentée
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 4 501 personnes ont déclaré des violences au sein du foyer en 2024, soit une moyenne de 12 signalements quotidiens. Parmi ces victimes, la majorité sont des femmes, confrontées non pas à une seule forme de maltraitance, mais souvent à plusieurs formes simultanées : coups, humiliations, pressions financières, surveillance numérique.
Et ces violences ne s’arrêtent pas aux portes des adultes. Les enfants, trop souvent oubliés, sont au cœur du cyclone. D’après le rapport ORViFF de mai 2024, près d’un enfant sur deux exposé à ces situations est également victime directe de violences. Les conséquences sont profondes : anxiété chronique, difficultés scolaires, troubles du comportement, perte de repères affectifs.
Des violences diffuses, parfois invisibles
La violence conjugale ne se limite pas à ce qui se voit. Elle s’exerce aussi dans le contrôle quotidien, l’humiliation répétée, l’isolement social. Ces violences dites “psychologiques”, bien que moins visibles, peuvent être tout aussi destructrices. Elles sapent l’estime de soi, paralysent la prise de décision et enferment la victime dans une relation d’emprise.
La Fédération Nationale Solidarité Femmes rapporte qu’en 2024, 86 % des femmes accompagnées déclaraient subir ce type de violences. Ces chiffres montrent l’importance de ne pas réduire le phénomène à ses manifestations physiques.
Des réponses institutionnelles qui progressent, mais à consolider
Face à cette situation, plusieurs structures œuvrent au quotidien pour protéger et accompagner les victimes à La Réunion. Parmi elles, la Maison des Femmes, des Mères et des Enfants, déjà implantée à Saint-Paul et à Saint-Denis, propose une prise en charge pluridisciplinaire. Deux nouveaux sites devraient voir le jour dans les mois à venir dans le Sud et l’Est de l’île.
Depuis 2024, le programme “Pack Nouveau Départ” expérimente une approche intégrée, en centralisant les services d’aide psychologique, d’accompagnement juridique, d’hébergement et d’orientation sociale. Objectif : réduire les délais d’accès à la protection, et simplifier le parcours souvent fragmenté des victimes.
Le dispositif NHAVIR, destiné aux auteurs de violences, vise quant à lui à prévenir la récidive. Il combine hébergement temporaire, suivi médico-social et engagement dans une démarche de responsabilisation.
La place du droit : cadre, levier, repère
Dans ce contexte, le droit joue un rôle fondamental. Il ne résout pas tout, mais il structure une réponse claire face à des situations confuses, conflictuelles ou dangereuses. Le recours à un avocat permet d’accéder à des mesures de protection, de faire valoir ses droits et de préserver les intérêts des enfants lorsqu’ils sont concernés.
Parmi les dispositifs existants, l’ordonnance de protection (article 515-9 du Code civil) est un outil encore sous-utilisé, mais particulièrement efficace. Elle peut être demandée sans qu’une plainte ait été déposée, dès lors que des éléments laissent présumer l’existence de violences. Elle permet :
- l’éloignement de l’auteur présumé,
- l’attribution temporaire du logement,
- la fixation des modalités de garde,
- et, dans certains cas, l’obtention d’un titre de séjour pour les victimes étrangères.
L’avocat intervient alors comme un repère juridique, garant des procédures, mais aussi interlocuteur relais entre la justice et les autres acteurs impliqués. Dans ces situations d’urgence, sa réactivité et sa maîtrise des dispositifs sont décisives.
Un enjeu collectif, une vigilance partagée
La réponse aux violences intrafamiliales ne relève pas d’un seul acteur, mais d’une mobilisation coordonnée entre la justice, la police, les professionnels de santé, les éducateurs, les structures d’accueil, et les citoyens eux-mêmes.
Chaque signalement, chaque accompagnement, chaque décision judiciaire contribue à renforcer un tissu de vigilance et de soutien. Et, souvent, c’est le premier mot posé, le premier regard entendu, qui brise le cercle de l’isolement.