Focus sur la déjudiciarisation en droit du travail
La déjudiciarisation en droit du travail
Est appelée déjudiciarisation le fait de ne pas avoir systématiquement recours au judiciaire en privilégiant d’autres voies, comme le traitement social ou la médiation. Appliquée au droit du travail, cette baisse des contentieux fait grincer quelques dents. Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? En la matière, il n’existe aucune réponse unique. Ayant débuté avec la recrudescence des ruptures conventionnelles homologuées nées sous le signe du sacrosaint consensus, la déjudiciarisation revêt aujourd’hui des visages divers en droit du travail. Zoom sur ce phénomène qui ne fait pas que des adeptes.
Une déjudiciarisation à l’origine d’une baisse de contentieux sociaux
La loi du 25 juin 2008 est venue reprendre cette idée de déjudiciarisation en multipliant les précautions et les garanties pour les parties. L’objectif affiché était alors d’éviter autant que possible tout contentieux. Les délais de réflexion et de rétractation ont ainsi été rallongés. Cette loi a permis de faire baisser de 40 000 le nombre de contentieux prud’homaux en l’espace de 5 ans (plus précisément entre 2009 et 2014).
Avec l’arrêt rendu le 23 mai 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation a sécurisé cette déjudiciarisation en venant préciser que la validité de toute convention de rupture conclue entre les parties n’est pas remise en cause par l’existence d’un différend entre les parties au contrat de travail. Cet arrêt rendu, l’ère a véritablement été celle d’un renouveau, celui du désengorgement des tribunaux prud’homaux, avec un record en 2017 de 432 000 homologations délivrées.
Le barème des dommages-intérêts issus de la déjudiciarisation
Le barème des dommages-intérêts prévus dans l’hypothèse d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse n’est pas du goût de tout le monde. Cette mesure majeure est née des ordonnances du 22 septembre 2017 destinées à remodeler le droit du travail en faveur d’une déjudiciarisation. Le plafond a été établi en fonction de l’ancienneté du salarié : 1 mois de salaire brut pour une ancienneté inférieure à 1 an et 20 mois de salaires bruts maximum pour une ancienneté supérieure à 30 ans. Le plancher est fixé à 3 mois minimum pour une ancienneté supérieure à 2 ans sauf pour une entreprise ayant une trésorerie fragile ou comptant moins de 11 salariés.
Les précautions prises pour encadrer la déjudiciarisation en droit du travail
Mais que cache réellement cette déjudiciarisation dans le monde du travail ? Nombreux sont ceux à estimer que le consensus entre salarié et employeur cache souvent une démission ou un licenciement abusif. N’en déplaise à ses détracteurs, la déjuridictionnalisation a atteint son objectif, également en matière de protection du salarié. L’administration contrôle désormais la procédure, ce qui a fait que le contentieux devant le Tribunal de Grande instance est désormais de 8 % en comparaison avec les 21 % d’il y a quelques années.
Depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017, la rupture conventionnelle collective se pare de trois consentements successifs, dans un objectif de protection du salarié. Cette rupture conventionnelle revisitée est alors une synthèse entre les nombreuses évolutions ayant entouré la déjudiciarisation depuis son introduction en droit du travail.
Désormais, les trois consentements successifs sont les suivants :
- un premier consensus avec les syndicats
- un second consensus avec la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), cette dernière vérifiant notamment que la rupture n’a pas pour origine une éventuelle discrimination
- l’accord éclairé du salarié.
Nullité de la transaction de rupture après une remise en main propre du licenciement
Nullité de la transaction après la remise en main propre de la lettre de licenciement
En droit du travail, on appelle transaction le contrat par lequel salarié et employeur mettent un terme, par concessions mutuelles, à toute contestation antérieure ou à naître, en lien avec la rupture du contrat de travail. Elle est encadrée par l’ article 2044 du Code civil.
Dans un arrêt de Cour de cassation en date du 10 octobre 2018, la Haute juridiction a estimé qu’une transaction ayant lieu après la rupture du contrat de travail n’est valable que si le licenciement a été notifié par voie de courrier recommandé avec avis de réception.
Déroulement des faits
Toute transaction présuppose que le contrat de travail ait été rompu au préalable puisque son objet est précisément de mettre un terme définitif à toute possibilité de contestation liée à la rupture du contrat. Par son biais, les deux parties s’entendent pour ne pas remettre en cause de quelque manière que ce soit la décision prise ni aucune disposition contractuelle.
En l’espèce, un salarié se fait licencier par son employeur et signe le reçu de remise en main propre de la lettre de licenciement. Deux mois après le licenciement du salarié, l’employeur décide de conclure avec ce dernier un protocole transactionnel. Le salarié signe ce protocole puis en conteste la validité en saisissant les Prud’hommes.
La Cour d’appel saisie de cette affaire (en l’occurrence la Cour d’appel de Basse-Terre) considère que la transaction est valable puisqu’elle a été conclue à la suite de la notification du licenciement au salarié. Elle déboute le requérant de sa demande.
Le protocole transactionnel : un acte soumis à un strict formalisme
Le salarié forme un pourvoi en cassation. Au visa de l’ article L. 1231-4 du Code du travail et L. 1232-6 de ce même Code, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que cette transaction a été conclue par les deux parties en l’absence de notification du licenciement par voie de lettre recommandée avec avis de réception. De ce fait, il en résulte que la transaction est nulle.
La Jurisprudence part du principe qu’une transaction peut tout à fait être valable. Encore faut-il en fixer les contours. En la matière, la Cour de cassation vient apporter une lumière sur le formalisme devant entourer cette rupture afin de rendre la transaction valable.
La question qui était posée aux juges était ici de savoir si une transaction conclue après la notification d’un licenciement par remise en main propre était ou non valable.
Pour répondre à cette question, les juges ont établi que cette transaction, afin d’être valable, doit être conclue après la notification du licenciement par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception. En l’absence de ce formalisme, la transaction est donc considérée comme nulle. Une simple remise en main propre au salarié, même contre signature, ne suffit pas.
Cette solution respecte tout particulièrement le formalisme tel qu’imposé par l’article L. 1232-6 du Code du travail et selon lequel l’employeur est tenu de notifier le licenciement au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception.
Une volonté de protéger le salarié licencié
Cette position de la part des juges n’est pas isolée. En effet, elle vient confirmer sa position constante, notamment dans un arrêt rendu le 5 mai 2010.
On pourrait légitimement se demander quelles sont les raisons d’une telle décision, dans la mesure où on pourrait penser qu’une remise en main propre suffit pour que le salarié prenne connaissance de son licenciement. En réalité, il apparaît que l’avantage de l’envoi par lettre recommandée avec avis de réception est de permettre au salarié licencié d’avoir une pleine et entière connaissance des motifs de son licenciement. Or, cela n’est pas forcément le cas lorsque le licenciement est notifié au salarié par une remise en main propre. L’objectif des juges est donc de protéger le salarié licencié, la transaction ayant pour conséquence de rendre impossible toute contestation. Cela ne remet nullement en cause la validité de tout licenciement mais bien de toute transaction conclue après le licenciement. Il est ainsi acquis de manière constante que la notification au salarié de son licenciement par une lettre remise en main propre ne requalifie pas le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il est donc hautement conseillé aux employeurs de notifier le licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception afin de pouvoir conclure une transaction postérieurement.